lundi 24 août 2020

Ariane et la ramoneuse

En hommage à Ariane Le Fort, à son talent de conteuse et à son ouïe affûtée

Du temps où j’étais père célibataire, nous vivions à trois sous les toits, ma fille de 10 ans, la chatte Jeanne et moi. Faute d’accès au jardin 3 étages plus bas, la chatte noire avait fait des gouttières et des toits du quartier son domaine privé, car aucun autre chat n’y accédait. Par contre, si l’opportunité s’en présentait sous forme d’une tabatière ouverte, elle n’hésitait pas à s’introduire dans les maisons voisines, mais toujours elle revenait.

Un matin, lors de la cérémonie de nourrissage, la chatte ne se présenta pas à la cuisine. Par la fenêtre ouverte, nous appelons “Jeanne, viens manger” mais seuls le chant des oiseaux et des autobus nous répond. Nous fouillons l’appartement puis la cage d’escalier puis, faute de temps, nous abandonnons la recherche pour partir qui à l’école primaire, qui à son travail.

Dans la rue, avant de monter en voiture, nous jetons un œil à tout hasard en appelant doucement notre félin favori. Apparaît alors sur le seuil de sa maison notre voisine Ariane Lefort (l’écrivaine) qui s’enquiert de notre quête. « Notre chatte a disparu » l’informons-nous. « Comme c’est curieux, dit-elle, j’ai précisément rêvé de chat, j’ai même cru entendre un miaulement ». Et moi, « où se trouve votre chambre ? ». « Au premier étage, de votre côté ».

Guidé par la romancière, nous sommes monté dans la chambre en question. En face du lit, il y avait une cheminée en marbre, condamnée, car le chauffage central avait rendue inutile l’accès au conduit. Le conduit lui-même était recouvert d’une plaque de frigolite de son vrai nom polystyrène expansé (inutile au scrabble car il faut deux « y »), sans doute prévu pour interdire l’intrusion de Saint-Nicolas ou de cambrioleurs amaigris.

Je me suis approché de la paroi et j’ai interrogé « Jeanne ? ». Elle a simplement répondu « Miaou » à travers la frigolite. Rien de désespéré dans son cri, juste une information « Je suis ici, en effet ». Pour la délivrer, nous n’avons eu aucun mal à arracher la fragile plaque, jusqu’à découvrir notre Jeanne noire de suie – en réalité un peu plus grise qu’au naturel – et apparemment en bonne santé malgré une chute de plus de 10 mètres. Elle a pris son air le plus noble, dressant la queue avec dédain « Enfin, j’ai failli attendre » et s’est laissé emporter pour retrouver son foyer.



Foyer, le mot n’est pas le plus adapté aux circonstances car, par chance, elle avait bondi et était tombée dans un conduit de cheminée heureusement dépourvu de … foyer.

samedi 4 juillet 2020

Allô Proximus, ne coupez pas

Ma voisine du troisième étage désirait ouvrir une ligne Internet à son étage. Sur mon conseil, elle décide de faire appel à Proximus, ce qui lui évitera lors d’un éventuel problème, de voir son fournisseur d’accès et le détenteur de la ligne se renvoyer la balle dans le style …

- Madame Proximus, votre ligne c’est de la merde
- Pas du tout Monsieur Orange, c’est votre routeur qui est un nul de chez nul

Donc Proximus lui envoie un jeune du genre il a l’âge légal ? Et son masque, il est où ? Pour installer la ligne, la boîte téléphonique étant au sous-sol (en Fa donc), il lui faut tirer une ligne d’une quinzaine de mètres. Sauf que le garçon, soucieux de s’épargner du travail et/ou du fil, essaie de repérer parmi les anciens câbles présents en abondance un fil qui connecte directement le troisième à la cave. Les candidats à cette fonction sont nombreux et on m’arrache à mon oisiveté pour détecter le fil ad hoc.

Mais j’avoue que l’âge aidant, et les années ayant pesé également sur la qualité des souvenirs, je ne suis plus certains de quel fil est quoi entre le 12 volt de Telenet (mon fournisseur d’accès et de ligne), le 12 volts du parlophone sans compter les connections (12 v) renvoyant à la mini-centrale téléphonique pour servir quatre postes. De plus, je ne vois pas pourquoi je dois m’emmerder pour résoudre les problèmes de Proximus et de la voisine.

Par la suite, j’ai su pourquoi.

Le garçon est de plus en plus nerveux, proclame qu’il n’est pas électricien (on s’en doutait), court d’un étage à l’autre avec un appareil qui fait bipbip quand il détecte du 12 volts, c’est à dire à peu près partout, et finalement ouvre un boîtier puis l’autre tandis que j’essaie de terminer mon petit déjeuner tardif de confiné. Finalement, il tire la conclusion logique qu’il n’est pas plus installateur que technicien. Il m’arrache à mon troisième café pour demander que je le laisse sortir.

Jour 1

C’est pourtant simple, j’ai sur la rue une serrure magnétique qu’on ouvre de l’intérieur en poussant sur le bouton rouge ! Problème, le bouton est toujours là, mais le rouge n’y est plus, donc l’aimant ne m’aime plus. Impossible de relâcher le garçon car il existe bien une clé, mais qui ne fonctionne que de l’extérieur et à l’extérieur, il n’y a personne … Je descends à la cave visiter la boîte à fusible, il y en a un avec le label « PORTE » mais il est branché normalement. Un problème dans le fil ?

Tel Sherlock Holmes et partant de la porte d’entrée, je suis le câble gris jusqu’à détecter la cause : le câble a été coupé net à l’approche du tableau des fusibles. Aucun doute, la coupure est aussi volontaire que nette et le coupable ne fait aucun doute : c’est justement celui qui veut sortir. Je lui communique donc qu’il ne pourra sortir qu’après avoir réparé. Il y va d’un « je l’savais, je l’savais que j’allais faire une connerie ». OK, mais moi je le savais pas, d’ailleurs, pourquoi il a pas rétabli le contact, puisque sa coupure ne donnait rien ?

Je lui communique donc qu’il est pris en otage, et qu’il ne sortira qu’une fois le courant rétabli dans la serrure électrique. Comme « il n’est pas électricien », je lui conseille de couper le fusible pendant qu’il recrée le passage du courant. Un moment plus tard le bouton rouge re-rougit et le non-électricien annonce pour ma voisine qu’il va demander à un collègue moins con euh, je veux dire plus com .. pétent de venir régler le problème.

Fin de l’histoire ? Vous plaisantez je suppose !

Jour 2

Le lendemain, je prends mon téléphone de maison pour faire un appel (après 16 heures c’est gratuit de chez j’ai déjà payé). Je reçois bien le signal de la mini-centrale, mais pas moyen d’obtenir la ligne extérieure en tapant le zéro. Coïncidence ? Le malade de la pince à couper a trifouillé dans le placard de la centrale, et il a même enlevé, je le vois maintenant, le couvercle d’une boite de dérivation 12 volts. Les deux fils sectionnés (dé-serrer les petites vis c’est un boulot d’électricien?) gisent sur le côté, orphelins de leur connexion 12 volts. Miracle, après dénudage et revissage, je retrouve mon LA téléphonique. La concurrence entre Proximus et Telenet devient féroce, s'ils se coupent les lignes ...

Jour 3

Dans la boîte à lettres (réelle, pas virtuelle) il y a l’avis de passage d’un livreur. Ce qui est étrange c’est que nous n’avons pas quitté la maison aujourd’hui, pourquoi n’a-t-il pas sonné ? Sommes-nous devenus tous sourds ? Et si c’était encore un coup (de cisaille, aïe aïe) du désinstallateur Proximus. Vérification faite, la sonnerie du rez-de-chaussée (c’est un ding dong à la tierce) ne fonctionne pas … J’ouvre le boîtier des boutons de sonnette pour repérer la couleur du fil – il est rose – avant de le retrouver dans le réseau qui avoisine le tranfo du courant continu (12 volts encore).

Pas de fil coupé cette fois, mais un fil « arraché » se promène en célibataire. Serait-ce ? Test, oui, c’est bien lui. Normalement, il fait ménage à trois dans un sucre électrique, je réconcilie les divorcés avec un tournevis d’électricien (je ne suis pas électricien non-plus, mais le port du tournevis est autorisé même aux profanes). C’est alors que j’aperçois l’arme des crimes, que le malfaiteur, dans sa fuite, a abandonné sur une étagère.

 Il va de soi que, maigre compensation, j'ai saisi la pièce à conviction.





vendredi 20 mars 2020

Les huns et les hautres

mon supermarché en ligne au temps du corona




Lundi 16 mars 2020 : Les Huns se lancent à l’assaut des supermarchés pour s’emparer de rouleaux de papier hygiénique, d’œufs, de pâtes, de riz. Par la même occasion, ils en profitent pour répandre largement le covid-19 dans les hordes de consommateurs affolés. Là où ils passent, les marchandises ne repoussent pas, mais l’épidémie fleurit. Les Hautres, dont je suis, sont désemparés : comment se réapprovisionner en fromage, beurre, riz et spaghetti sans participer à la diffusion du virus ?


Mardi me vient une des ces idées magiques dont je suis coutumier : il suffit de faire ses “courses” à la maison, comme le préconise une publicité de Carrefour largement répandue. C’est simple, pas la peine de perdre son temps dans les embouteillages (du supermarché), on rédige sa liste sur son téléphone ou son ordinateur, on passe commande, on paye et bingo, on va chercher les paquets préparés à l’entrée du magasin.

De fait, la première étape est facile, Google est mon ami-e (je suis pas encore arrivé à savoir si c’est un homme ou une femme), je tape « achats en ligne Carrefour » et j’arrive direct sur le site de commande. En haut à gauche : « commander » et à droite « mon compte ». Comme j’ai une carte carrefour, pas de doute, j’ai un compte. Donc je clique là et j’entre mon adresse mail, ça coince parce que le mot de passe que j’introduis n’est pas le bon. Quel est donc ce §@& ! de mot de passe ?

Comme Google est (pour l’instant) encore mon ami-e, je cherche dans les mots de passe enregistrés, shit il n’y a pas de mot de passe enregistré pour carrefour. J’essaie un autre mot de passe que j’emploie couramment, bernique ! Tant pis, je vais créer un nouveau compte. Ça marche, jusqu’à ce que j’introduise mon numéro de carte de fidélité carrefour ; La réponse est sans appel, il y a déjà un compte lié à cette carte. Ben oui, je suis au courant, dites-moi au moins si le compte est bon, ou si j’ai employé un autre login. Non, pas possible.


Retour au point de départ, dans « connexion » il y a un sous-titre « j’ai oublié mon mot de passe » . Je clique, il suffit d’indiquer son mail et « Eva » va m’envoyer un lien pour modifier mon mot de passe. Promesse d’ivrogne, car Eva ne m’envoie rien du tout, d’ailleurs on est vendredi et j’ai encore rien reçu. Heureusement je n’ai pas attendu plus de 10 minutes, et je suis passé au plan B (comme Bernique!), en optant pour la gauche « commander ». J’ai déjà une liste papier, ça ira vite.

Euh non, pas vraiment. Il me faut retrouver une trentaine d’article parmi un panel de plusieurs milliers. Dans le magasin, on est habitué, on sait directement dans quel coin on va trouver les produits qu’on achète régulièrement. Ici, on doit d’abord trouver la bonne catégorie, suivre l’ordinogramme des marchandises … Le moteur de recherche peut aider, à condition de connaître le nom exact du produit. Par exemple, je tape « serviettes » et je trouve une liste de protections féminines. Si je précise « serviettes en papier » je trouve les cahiers et autres A4 pour imprimantes. Si je tape « serviette de tables », le magasin me signale qu’il ne vend pas de tables.

Donc, au bout de 3 heures à visiter tous les recoins du site, j’ai réussi à remplir mon caddie virtuel avec 90 % de ma liste papier, plus (évidemment) des articles qui ne figurent pas sur ma liste. Ne reste plus qu’à commander ce caddie et crac, je pensais échapper au problème de connexion mais c’est raté : « pour enregistrer votre commande, il faut se connecter ». Et toujours pas reçu le formulaire de « Eva » pour changer mon mot de passe. Il est temps de passer au plan C (comme Caramba !) : ouvrir un nouveau compte.
Je remets mes coordonnées, identité, date de naissance, adresse, je prends soin de ne pas signaler ma carte bonus et ouf … Mon caddie est toujours là, il y a 150 € à payer.
Hop, carte de crédit – refusée pourquoi ?, carte de banque, ça passe. Et voici la bonne nouvelle : vous pouvez retirer votre colis mercredi entre 14 et 15 heures. Ma femme me félicite de ma persévérance. Oui, mais 
pas mercredi 18 (demain) mais mercredi 25 (dans 8 jours). J’ai fini de ronger mon frein et je commence à grignoter mon clavier. Qu’allons-nous manger en attendant ? Reste donc le plan D (démerde-toi) : aller au magasin 
physique faire les achats de la semaine … comme d’habitude.


Un fils de pub, vendredi 20 mars 2020