mercredi 17 octobre 2007

Idées noires

Je vais l'appeler Loira ... par dérision, car rien sur sa tête, ni à l'intérieur, n'évoque la blondeur. Tout au contraire, c'est une mulâtre superbe, haute et fière et un esprit brillant. Je suis en fait beaucoup plus "loiro" qu'elle, quoique ma crinière et ma barbe ne soient aujourd'hui blondes que des survivances d'une jeunesse déjà lointaine.

Loira, donc - puisqu'il ne faut pas l'appeler par son nom - était arrivée la dernière à cette fête brésilienne, précédée pourtant d'une réputation flatteuse : avant de la rencontrer, je savais déjà qu'elle était journaliste, parlait plusieurs langues, était mariée et avait un enfant. Ma compagne elle-même me l'avait décrite comme "une belle femme", ce qui avait dû lui coûter plus qu'un aveu d'ignorance.

Mais personne ne m'avait prévenu pour les incroyables dreads de Loira, des fines tresses dont les nuances allaient du marron-roux au noir-corbeau et qui s'étiraient comme les tentacules d'un poulpe muni de 64 pattes sans être pour autant monstrueux. Quand je les ai vues j'ai dit assez finement : «tu dois être Loira» et comme elle a de la répartie, elle a répondu du tac au tac "tu es Django !". Jusque là c'était pas trop dur : tout le monde à la fête portait un badge à son nom.

Puis j'ai enchaîné
- Ta coiffure est magnifique, ça valait la peine d'arriver en retard...
- Ne m'en parle pas, me dit-elle, c'est le travail de 4 personnes pendant six heures !
Là, je m'essaie à l'humour
- Ça devait être plus facile du temps de l'esclavage !
Il m'était venu en effet qu'il devait être plus simple de mobiliser 4 esclaves pour vous pondre une coiffure époustouflante que de payer tout un salon de coiffure pour le même travail.

Mais Loira ne l'entendait pas de cette oreille :
- Mais non, jamais je n'aurais eu de temps à consacrer à mes soins corporels.
Que la conversation se tienne en portugais n'y changeait rien : alors que moi, le blanc, je pensais à la commodité d'avoir toute la main d'œuvre disponible à mon service, Loira la noire avait spontanément endossé le rôle de l'esclave et pas du tout celui de la maîtresse de maison. Sans qu'aucun de nous n'y songe, des siècles de traite des noirs avaient tracé leurs sillons jusque dans nos inconscients d'homme et de femme libres de préjugés.

Alors j'ai eu honte de ma race, qui, plus encore que les droits de l'homme, avaient piétiné nos esprits pour longtemps.