lundi 30 novembre 2009

le préposé et le gitan (fable)


Il y a des matins où c'est pas mon jour et l'inverse est également vrai.
À peine levé (avec la migraine), on entend la sonnerie de la porte d'entrée. Comme, en plus, le microphone du parlophone est en panne, il ne me reste qu'à descendre en peignoir, en personne et en céphalée pour examiner de près l'importun.
L'importun est un jeune-homme en uniforme mal identifié (je n'ai pas encore pris mon deuxième café et la migraine rode toujours) qui néanmoins se présente : « Bonjour, c'est Belgacom, je viens voir si vous avez reçu vos 600 minutes gratuites ». J'en reste sans voix : comment a-t-on pu m'envoyer des minutes gratuites, dans quel emballage, avec quel affranchissement ? Quel est le tarif postal appliqué aux paquets de 600 minutes ?
Une parenthèse s'impose pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les entreprises belges de télécommunication. Comme dans de nombreux pays, l'ancienne Régie (d'État) des téléphones a été privatisée tandis que les services téléphoniques étaient ouverts à la concurrence. Ouverture toute relative, puisque Belgacom continue à détenir le monopole des lignes téléphoniques et à restituer 51% de ses bénéfices à son actionnaire principal, l'État belge. Beaucoup de citoyens de plus de 40 ans, pensent d'ailleurs que Belgacom est encore un service public.
Donc, mon vendeur ambulant porte un uniforme qui le déguise en fonctionnaire public. Profitant de cet ascendant, le démarcheur pousse son avantage : « Vous n'êtes pas client de Belgacom ? » À ma grande honte, je dois confesser que non ... « Et votre GSM ? Vous avez eu 600 minutes gratuites ? ». Là, je m'insurge, non, mon téléphone portable n'est pas non-plus client chez Belgacom. « Et votre opérateur ne donne pas 600 minutes gratuites ? »
Puis vient le coup de grâce : « quel est votre opérateur GSM ? » Je prends conscience que je réponds à un véritable interrogatoire de police et je m'insurge : « Je n'ai pas à répondre à vos questions ni même à supporter votre intrusion dans mon petit déjeuner. » Sur ce, retrouvant un peu de ma dignité écornée par ma tenue de saut du lit, je lui claque la porte au visage.
En quoi j'ai tort, comme nous l'allons montrer tout-à-l'heure.
Retour donc à mon rituel matinal, café, croissant, journal ! L'adrénaline redescend et l'Almogran® commence à apaiser ma migraine. J'en profite pour me plonger avec délice dans le casse-tête du jour, un Sudoku ***. La porte d'entrée claque, je n'y prête pas attention, c'est sans doute ma locataire qui rentre d'une course... ... ... Quoique ... je n'entends nul pas dans l'escalier, elle est rarement si discrète ... J'inscris un « 7 » en C8 et m'attaque à la quatrième colonne. Le chat pousse doucement la porte de la salle à manger reste entrouverte.
Le chat, vraiment ? Une tête mâle et carrée aux cheveux noirs courts apparaît, en même temps qu'un bras se tend vers le sac à main de ma compagne et je dis bêtement « Mais, qui êtes-vous ? ». Aussi surpris que moi, le Kiyetvu en question retire sa tête de l'entrebâillement, reprend son bras resté bredouille. Je l'entends redescendre l'escalier puis claquer la porte à nouveau.
Comme mon peignoir ferme mal, je m'abstiens de le poursuivre sur la rue et je me contente de le regarder s'éloigner, par la fenêtre. Tel un Dupondt, il est accompagné de son double, il ne leur manque que le chapeau-melon
Il y a donc des matins où ce n'est pas mon jour, et inversément : en claquant violemment la porte au premier voleur (le préposé de Belgacom), j'ai involontairement omis de verrouiller la pêne et permis au second voleur (le supposé gitan) de s'introduire à son tour dans mon petit-déjeuner. Pourtant, tout est bien qui finit bien : les deux en somme s'en sont allés sans avoir pu opérer leurs forfaits respectifs.
Je dirais même plus : tout est bien qui finit bien.